Il
est tentant de penser, en s'immergeant dans ce grand pays en
développement largement soumis aux logiques industrielles et
financières des multinationales, que l'idéal de Gandhi et de tous
ceux ayant eu la même veine d'inspiration n'est plus qu'un mince
îlot d'utopie dans un océan de capitaux, de devises et de
corruption. Et que nous serions, nous, doux rêveurs occidentaux
partis en Inde en quête d'une alternative exotique qui n'existerait
plus que dans les livres d'histoires de la philosophie indienne.
Et
pourtant, dans le journal d'aujourd'hui Hindustan Times, deux
articles font référence à Gandhi. Le premier est un éditorial
concernant le Prix Nobel de la Paix attribué à l'Union européenne.
L'auteur y dénonce l'incohérence de ce Prix au vu des répressions
policières actuelles en Espagne et en Grèce face à la crise et de
l'hostilité croissante des Britanniques vis à vis de l'Union*, et
revient sur la pertinence des attributions de ce Prix dans
l'Histoire. L'année de l'assassinat de Gandhi, il avait été
proposé de le lui attribuer, mais cela avait été écarté pour
deux raisons : officiellement, on ne peut pas attribuer un Prix
Nobel de la Paix à titre posthume (pourtant cela sera fait quelques
années plus tard à l'égard de Dag Hammarskjold en 1961).
Officieusement, le comité d'attribution a suivi les avis de ceux qui
lui ont fait porter la responsabilité de la partition de l'Inde
entre hindous et musulmans (création du Pakistan). Bref, on sent à
travers cet article un attachement, peut-être patriotique, mais
peut-être aussi philosophique, au Mahatma qui marque sa présence
encore aujourd'hui dans l'actualité indienne, peut-être comme Jean
Jaurès ressort de temps en temps en France quand le gouvernement a
besoin de s'appuyer sur des références nationales pour affirmer
certaines valeurs (à tort ou à travers).
Autre
article, plus concret, est celui intitulé « le Bihar va faire
revivre les écoles gandhiennes ». Le Bihar est un des États
indiens qui vient d'initier un processus de remise en fonction de
122 écoles « modèles » sur les 391 écoles
historiquement fondées selon le principe gandhien d'une éducation
holistique pour chaque enfant. Ces écoles visaient notamment à
valoriser les savoir-faire manuels comme le tissage, la charpenterie
ou l'agriculture. Alors que les systèmes scolaires conventionnels
mis en place avec la colonisation britannique insistaient sur
l'apprentissage de la lecture et du calcul, Gandhi voulait une
« nouvelle éducation » (Nai Talim) pour créer des
individus ingénieux et intelligents, capables de travailler avec
leurs mains.
En
conclusion sur l'héritage gandhien : Gandhi n'est pas dans le
courant « mainstream » de la mondialisation, c'est le
moins qu'on puisse dire, c'est même une des figures les plus aux
antipodes de tout le système générateur des maux modernes :
course à la productivité, folie des grandeurs multinationales,
dépendance des plus pauvres vis à vis des plus riches... Et
pourtant son nom résonne et, plus encore, les modes d'actions qu'il
a prônés - non-violence active, boycott, marche, désobéissance
civile, vie communautaire auto-suffisante - sont toujours bien vivants
et toujours en renouvellement dans les populations en résistance,
depuis les Indignés jusqu'aux sans-terre d'Inde, du Brésil ou
d'ailleurs, des « décroissants » aux militants
anticolonialistes, de la Nouvelle communauté de l'Arche aux ashrams
d'Anandwan...
Je
conseille un tout petit livret disponible partout, dans la même
collection qu'Indignez-vous de Stéphane Hessel, intitulé
« le courage de la non-violence » (de Jean-Pierre Barou),
qui résume bien l'essence de la pensée gandhienne en insistant sur
son actualité. Très loin de prôner un pacifisme passif
(« passifisme ») ou un idéalisme vaporeux, il réhabilite
au contraire la puissance et la subtilité de la pensée de Gandhi
qui dénonçait aussi bien la violence des forts que la non-violence
des faibles et incitait à un vrai courage de chacun contre les
injustices de tout instant.
*Ce
à quoi je ne peux m'empêcher d'ajouter la grande cohérence de
l'heureuse élue à signer en parallèle de la réception de ce Prix
les accords de l'ACAA avec Israël, renforçant son partenariat
économique avec un État de gouvernement d'extrême-droite allant à
l'encontre de toutes les valeurs dites européennes vis à vis des
Palestiniens, mais aussi de ses propres concitoyens.
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