samedi 13 octobre 2012

De l'avenir des Adivasis, peuple de la forêt

« Nous partons pour la jungle », nous dit-on. 7h de taxi, heureusement 4 roues motrices. Mais ça vaut la peine ! Sur la route des troupeaux de vaches et de buffles à n'en plus finir (certains domestiqués, d'autres non), une cacophonie de klaxons, la traversée de villages plus ou moins pauvres. Des temples, mais aussi pas mal d'édifices chrétiens. Des gens qui portent des sacs plus gros qu'eux sur la tête, d'énormes bottes d'herbe ou de longs fardeaux de bois. Des rickshaws pleins à craquer, des voitures remplies de jeunes hommes qui hurlent en nous doublant, des bus et camions super colorés. Une crevaison. Pas grave : 100 mètres plus loin, il y a un garage. Puis un barrage de la police forestière. Attention nous dit-on, c'est dangereux là où vous allez, ce sont les Naxalites qui contrôlent la forêt.

Nous nous y enfonçons... de ce que nous voyons, difficile en vérité d'appeler cela une jungle, puisqu'elle a été bien domestiquée, visiblement, ces dernières années. Des arbres de plantation alternent avec des rizières et quelques zones de brousse plus sauvage. Les villages que nous croisons désormais sont faits tout en bois, chaque maisonnette est entourée de barrières de bois derrière lesquelles on entrevoit des saris en train de sécher ou des marmites en train de fumer. Le centre Hemalkasa où nous arrivons est un village de bâtiments en dur pour le coup. C'est une « dépendance » d'Anandwan fondée par Baba Amte et son fils Prakash qui le dirige encore. La légende dit qu'un jour où ils seraient venus en pique-nique ici, Baba Amte aurait eu une vision en constatant l'état de santé des gens de la forêt, les Adivasis. Le lieu est donc aujourd'hui une sorte de dispensaire doublé d'une école et d'un centre de récupération des animaux.
Nous rencontrons Prakash qui nous présente sa famille (presque tous sont médecins) et lui demandons de nous raconter un peu l'histoire du lieu. Dans un premier temps, il se contente de nous montrer son livre où tout est raconté. Alors nous y allons cash en lui demandant ses relations avec les Naxalites. « It's a sensitive issue », « C'est un sujet sensible », nous répond-il. « Ici ce sont eux qui contrôlent la région, donc je ne peux rien dire sur eux. » OK, dont acte, ça donne le ton.
Les Naxalites, c'est un mouvement né dans les années 60-70. A l'origine des paysans brimés, en révolte pour leurs droits, mais aux tendances maoïstes qui les ont vite fait tomber sous la dépendance de la Chine (qui y a vu là une bonne façon de saper de l'intérieur l'autorité de sa rivale indienne), puis carrément de mafias en tous genres : trafics d'armes, de drogues, de femmes et même d'organes... Rajagopal avait essayé de contacter les « historiques » du mouvement pour leur faire reprendre leurs esprits, mais en vain... et il a du même coup été catalogué dans le camp des traîtres par l'état indien. 
Le dispensaire ici est un peu sommaire mais il y a par exemple un cabinet dentaire, l'objet d'une donation d'un dentiste riche qui vient exercer ici de temps à autre. La salle des patients à côté n'est autre qu'une grande dalle de terre battue surmontée d'un grand préau. Des gens viennent ici de loin et y restent avec leur famille le temps qu'il faut pour le soin. Le principal problème ici, c'est la malaria (paludisme) et notamment sa forme cérébrale. Mais les gens viennent aussi pour des piqûres de serpent, des fractures, etc. Prakash nous raconte la difficulté au début à faire accepter la médecine allopathique (c'est-à-dire la médecine conventionnelle occidentale basée sur le soin des symptômes cliniques) à un peuple tribal qui pratiquait la sorcellerie, les sacrifices d'animaux, voire – nous dit-il – d'humains. Mais l'état de dégradation de leur santé était tel que quand ils ont soigné le premier cas d'épilepsie et que les gens ont vu rentrer chez lui sur ses pieds un homme jugé mourant quelques jours plus tôt, ils ont petit à petit fait confiance au centre. Je dis tout de suite que nous ne sommes pas tout à fait convaincus que ce récit un peu mythique du début d'Hemelkasa, soit strictement conforme à la vérité, et surtout cela fait un peu mal de voir comment ces gens sont devenus dépendants de la médecine moderne dispensée de l'extérieur alors que, face à ses limites, des médecines traditionnelles orientales sont en re-naissance en Occident (médecines ayurvédique, homéopathique, holistique...). 
L'école accueille quant à elle 600 enfants, dont 400 sont pris en charge par l’État, les autres sont parrainés individuellement. Ils vivent ici en internat et ne voient leurs parents que tous les 2-3 mois. Le décalage culturel est énorme entre la culture tribale de leurs parents et celle dans laquelle ils sont moulés ici, dans leur petite tenue scolaire so british
Hemalkasa prétend également amener les tribaux à développer l'agriculture plutôt que la chasse. Donc à se sédentariser et à apprendre de nouvelles façons de travailler et même de vivre. D'où le défrichement d'une partie de la forêt au bénéfice de rizières. Prakash explique cette nécessité car selon lui ces peuples en étaient arrivés à des problèmes de survie tels qu'ils en venaient à tuer tout ce qui bougeait pour manger. Le centre a commencé par leur échanger des singes (rappelons que pour les hindous les singes sont sacrés) contre de la nourriture, puis d'autres animaux qu'il prétendait recueillir pour les sauver en échange d'une reconversion d'activité. Avaient-ils le choix ?
C'est ainsi que des animaux de la jungle ont commencé à être recueillis à Hemalkasa, selon Prakash pour les sauver, comme les orphelins. Prakash a d'ailleurs entretenu avec eux depuis le début une relation extrêmement particulière et impressionnante : panthère, hyène, écureuils... ils les apprivoise tous (cf. en fin d'article).
L'histoire ne dit pas pourquoi ces Adivasis, multicentenaires dans cette forêt, se sont retrouvés dans de telles difficultés de survie : déforestation intensive ? Safaris coloniaux ? Déséquilibres environnementaux ? Dégénérescence de leur tradition ? Corruption des Naxalites ?...
L'histoire d'Hemalkasa pourrait ressembler à une opération de sauvetage d'un peuple. Mais ce que nous y voyons, c'est surtout une culture traditionnelle de chasseurs de la forêt qui est en train de se perdre irrémédiablement. Les visages d'Hemelkasa n'ont pas la gaieté des gens d'Anandwan, les personnes que nous croisons répondent à peine à nos bonjours et le regard des enfants est triste. Il y a un malaise ici. Au pire, Hemelkasa a été un instrument de déculturation des Adivasis au profit d'un modèle de développement importé, limite colonial. Dans un but sans doute philanthropique, mais terriblement "ingérent" et paternaliste. Au mieux, c'est un projet de développement qui a limité la casse d'un peuple déjà menacé par la modernité, empêchant ainsi les conséquences tant de fois rencontrées ailleurs d'exode rural, de développement des bidonvilles, de déstructuration des familles et de déchirement des communautés.
Prakash nous dit qu'ils reçoivent aussi les gens qui viennent leur demander de l'aide administrative et essayent de les conscientiser à leurs droits. Espérons que cette dimension d'éducation populaire leur permettra, à terme, de trouver un bon équilibre de vie entre leur héritage et ce que leur propose l'Inde dite « moderne ». 
 
Pour finir pas trop tristement, petit panorama des animaux recueillis à Hemelkasa. Une impression désagréable d'être au zoo à regarder des espèces en voie de disparition pour la survie desquelles rien n'est fait. Mais on ne résiste pas au charme de l'écureuil emblème de la région du Maharashtra...





NB : Je rappelle que toutes mes photos (enfin une sélection quand même) sont visibles ici : https://picasaweb.google.com/Magali.rexistance/SelectionRexistanceEnInde

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